Ils ne me laisseront pas un souvenir impérissable #19

Es-tu le Maître de l’Aube? De Pearl Buck. Editions Le livre de poche. 380 pages. 1959.

1940, Etats-Unis. Un groupe de savants travaille à la création d’une arme qui mettrait fin à la guerre.

Je ne croyais pas mettre un jour un livre de Pearl Buck dans ce genre de billets, c’est une autrice que j’apprécie beaucoup en général. Jusqu’ici je n’avais lu que des romans où elle parlait de la Chine et c’est probablement pour ça qu’elle ne m’avait jamais réellement déçue.

Ici ça n’a pas du tout fonctionné, même si concrètement ça n’a pas été une lecture difficile: la plume est accessible et suffisamment fluide pour ne pas perdre le lecteur. Le problème, c’est plutôt le sujet du livre. Je partais avec des doutes à cause de ça, mais j’ai décidé de faire confiance à l’autrice malgré tout. Et concrètement, je n’ai rien à lui reprocher dans le traitement de ce sujet difficile. Elle fait du bon boulot pour montrer le côté humain de l’affaire, les doutes ou l’absence de doutes des personnages. L’aspect scientifique est assez bien expliqué aussi: on comprend de quoi il est question sans être assommé par les explications techniques.

Mais ce n’était pas un livre pour moi. Le côté scientifique m’est passé au-dessus de la tête tout simplement parce que le sujet ne m’intéresse pas. L’aspect éthique de l’intrigue était bien traité et c’est ce qui m’a le plus plu, mais il ne permet pas de s’attacher aux personnages. Entre ceux qui jouent avec le feu parce qu’ils sont capables de le faire et ceux qui se rendent compte des dangers, mais qui y vont quand même pour des raisons que j’ai trouvées particulièrement fumeuses, j’avais envie de tous les secouer.

Pour finir, le traitement des personnages féminins, s’il est parfaitement réaliste et dénonce la façon dont elles sont vues par les hommes, simplement en se contentant de décrire les choses avec sobriété, m’a hérissée parce que l’autrice ne peut s’empêcher de gâcher son propos en insérant des romances à deux balles dans une histoire qui me pesait déjà.

Une déception, mais c’est ma faute: c’était un mauvais choix de lecture, pas un mauvais livre.

***

Jules César. De William Shakespeare. Editions Archipoche, collection La Bibliothèque des Classiques. 30 pages/1312. 1599.

Jules César est accueilli triomphalement à Rome après sa victoire sur Pompée. Un groupe de conspirateurs organise son meurtre, sous le prétexte de sauver la Ville de la tyrannie et préserver la République.

Ce n’est pas une mauvaise pièce, au contraire: la plume est belle et inspirée, les émotions décrites touchent et il y a de belles répliques. Le premier problème, c’est que c’est difficile à suivre quand on ne connaît pas ou peu le contexte. J’avais quelques repères chronologiques suffisamment vivaces pour comprendre ce qui se passait, mais à part le meurtre, je ne suis pas capable de dire ce qui relève de l’Histoire et ce qui tient à l’imagination de l’auteur.

D’autre part, je me dis que si Shakespeare a choisi de traiter ce sujet, c’est qu’il devait faire écho au contexte politique ou social de sa propre époque. Parce que je doute que l’intégralité de son public ait eu les connaissances nécessaires sur l’Antiquité pour suivre si ce n’était pas le cas. Et là je n’ai aucune idée de ce que peuvent être ce contexte ou les évènements qui l’ont inspiré. Ni si il voulait réellement faire référence à l’actualité. Si vous en savez plus que moi sur le sujet, éclairez-moi! Je vais voir si je trouve une analyse de la pièce quelque part pour essayer de comprendre.

Du coup c’était difficile de me sentir impliquée (surtout avec tous ces personnages au nom en -ius qui me semblaient interchangeables, à l’exception des principaux) et je n’ai pas su apprécier cette pièce autrement que pour la plume de l’auteur et les quelques beaux monologues qui parsèment les scènes. Dommage.

***

Bad Feminist. De Roxane Gay. Editions Points. 456 pages. 2014.

Résumé de l’éditeur: Derrière ce titre ironique, Roxane Gay développe une réflexion révolutionnaire et bienvenue sur l’état actuel du féminisme. Lassée des prises de position parfois trop clivantes de certaines organisations féministes, et fatiguée d’entendre des femmes dire qu’elles ne sont pas féministes, elle rappelle que la défense de l’égalité des sexes ne dispense pas d’assumer ses contradictions : on peut aimer la télé-réalité, se peindre les ongles en rose et revendiquer le fait d’être féministe. Bad Feminist regroupe ses chroniques initialement publiées dans The Guardian et sur le site The Rumpus. Roxane Gay y parle de culture, de race, de sexe et de genres, de stéréotypes sur l’amitié féminine, en se fondant sur sa propre histoire de femme noire dans l’Amérique contemporaine. Le portrait qui émerge en filigrane est celui d’une femme au regard d’une incroyable justesse, aussi bien sur elle-même que sur notre société. Une société dans laquelle les produits culturels que nous consommons entretiennent bon nombre de stéréotypes qui finissent par nous définir. Après avoir lu Bad Feminist, vous ne verrez plus les femmes, ni le monde, de la même façon.

La première chose à (re-)préciser concernant ce livre, c’est qu’il ne s’agit pas d’un essai (c’est sous ce tag que le référence par exemple LivrAddict). Les textes rassemblés ici sont très différents les uns des autres, assez brefs, et s’ils sont classés plus ou moins par genres, n’ont pas réellement de lien entre eux, si ce n’est le point de vue de l’autrice sur les questions traitées. Il n’y a pas réellement de ligne directrice. Ici, on est à mi-chemin entre les textes critiques (de livres, de films, de personnes, d’évènements) et le témoignage. L’autrice nous fait part de ses expériences personnelles et de ses avis, ce qui est tout à fait légitime et intéressant, mais ce n’est clairement pas un essai et c’est une erreur de présenter ce livre de cette façon, tout comme ce serait une erreur de lire ce livre en espérant y trouver un essai.

Il est question ici de féminisme, en particulier de féminisme intersectionnel, d’homophobie, de sexisme, de violences sexuelles et de bien d’autres sujets. Là où je rejoins Roxanne Gay dans son propos, c’est que moi aussi j’en ai marre d’entendre des femmes dire « je ne suis pas féministe ». A moins que vous pensiez que les hommes doivent avoir plus de droits que vous uniquement parce qu’ils sont des hommes, vous êtes, de facto, féministes. Je ne développerai pas davantage le sujet, je suis ici pour parler d’un livre et pas des trucs qui m’énervent ^^

Ce livre se retrouve dans un billet consacré à des lectures oubliables pour plusieurs raisons. La première est que je l’ai trouvé assez fouillis. Ce genre de recueils me donne l’impression de constamment sauter du coq à l’âne et de ne pas vraiment développer suffisamment les sujets abordés.

Ensuite le point de vue est celui d’une femme afro-américaine, ce qui est tout à fait intéressant et respectable, mais ce point de vue est construit uniquement en opposition « aux Blancs » et en cela elle fait exactement ce qu’elle reproche aux autres: séparer le monde en deux catégories, d’une part (les « latinos » sont mentionnés une ou deux fois, le reste du monde peut aller se rhabiller, à l’exception des voisins coréens qu’elle cite une fois à titre d’anecdote); et d’autre part construire son identité et sa réflexion presque uniquement en fonction de cette dualité. J’ajouterai qu’à l’exception de la Suède, qui n’est citée qu’à titre de contre-exemple (et l’autrice ne tient pas compte des différences culturelles ni du contexte social pour développer sa réflexion), il n’est question que des Etats-Unis.

Ce qui pose un autre problème pour le lecteur non-états-unien: les références culturelles, sociales et liées à l’actualité (d’avant la publication en 2014, en plus) m’étaient pour beaucoup d’entre elles inconnues. Si tout le monde peut saisir de quoi il est question quand on parle de 50 nuances de Grey ou de Hunger Games, ce n’est pas le cas pour des comiques de stand-up, des films « de niche » jamais diffusés chez nous ou ce genre de références.

Pour finir, depuis la publication de ce livre, le mouvement #Metoo et bien d’autres sont passés par là , ce qui fait qu’il est à mon avis dépassé, daté.

Cependant, il y a de très bonnes choses dans ce livre, en particulier sur les violences faites aux femmes, les questions de genre et de « race » (je le mets toujours entre guillemets, parce que je ne crois pas à cette notion). La plume, pleine d’humour et de sarcasme, est assez agréable.

Pour tous ces aspects, ce livre vaut la peine d’être lu. Mais je pense l’oublier assez vite: trop fouillis, trop long, trop daté et trop américano-centré (trop Roxane-Gay-centré, en fait) pour moi.

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6 commentaires pour Ils ne me laisseront pas un souvenir impérissable #19

  1. Si la thématique de féminisme intersectionnel de Bad Feminist m’intéresse, le manque de fil conducteur me dérange pas mal…
    Et merci de rappeler que dire « je ne suis pas féministe », c’est surtout dire je suis pour les inégalités. Cela provient peut-être du fait d’avoir peur de revendiquer un féministe militant qui fait peur ou de confondre féminisme et misandrie, ce qui fait d’ailleurs bien le jeu de certains.

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